L’image ci-dessous vaut plus de 9 millions de dollars. Il s’agit d’un
NFT (non fungible token ou jeton non fongible), l’un des premiers jamais créés.
Il fait partie de la collection CryptoPunks, un ensemble de 10 000 NFT
publiés en 2017, à une époque où une grande partie du monde découvrait
encore ce qu’était le bitcoin.
Beaucoup de personnes ignorent tout des NFT
qui ont commencé à faire beaucoup parler d’eux depuis le printemps dernier.
L’idée que des sommes aussi astronomiques puissent être dépensées dans
quelque chose d’aussi immatériel a de quoi sidérer. Les détracteurs parlent
d’arnaque et d’un phénomène nuisible à l’environnement, d’autres d’une techno porteuse d’avenir. Raison de plus pour
tenter d’y voir plus clair et de dépasser les idée reçues.
Un NFT, un simple JPEG ?
Un
NFT est un objet virtuel dont l’authenticité et la traçabilité sont garanties
par une blockchain. Ce type de jeton cryptographique est actuellement très
prisé des collectionneurs et amateurs d’art. Ce qui nous ramène à l’image
pixellisée ci-dessus. Son propriétaire est Richerd, un développeur de
logiciels canadien. Il a commencé à créer des logiciels de cryptomonnaie
vers 2013. Après avoir découvert les NFT, Richerd a acheté CryptoPunk #6046
le 31 mars pour 86 000 dollars (75 894€ au cours actuel) ce qui, selon lui,
est le plus gros achat qu’il ait jamais fait dans sa vie.
Le mois dernier, il déclaré à ses 80 000 abonnés sur Twitter que son
CryptoPunk était inestimable et qu’il n’était pas à vendre, quel que soit
le prix proposé. Dès le lendemain, sa détermination a été mise à l’épreuve
lorsqu’une offre de 2 500 ethers, soit 9,5 millions de dollars, lui a été
faite. Cette proposition record n’a pas été faite parce que le CryptoPunk
de Richerd vaut cette somme, des NFT similaires se vendent aujourd’hui
environ 400 000 dollars, mais plutôt parce que son bluff a attiré
l’attention. C’était un défi tout à fait sérieux. Si Richerd avait cliqué
sur « accepter », il aurait effectivement perçu ces 2 500 ethers. Mais il a
préféré décliner. « Bien, évidemment, la veille, j’ai dit « Je ne le vends
à aucun prix », donc si je le vends à ce prix, j’irais à l’encontre de mon
intégrité », a-t-il expliqué à nos confrères de CNET.com. « En plus de
cela, j’ai utilisé ce CryptoPunk comme ma photo de profil, comme ma marque.
Tout le monde sait que c’est moi. »
Il n’y a pas si longtemps, l’explication de Richerd aurait semblé insensée.
Jusqu’à quel point faut-il être déconnecté de la réalité pour offrir une
telle somme pour une pauvre image jpeg ? Et à quel point faut-il être
scandaleusement malavisé pour refuser un telle proposition ? Après quelques
mois à faire des recherches et à suivre les NFT, nous avons compris que
cela n’a rien de surprenant. En fait, c’est même tout à fait logique.
Les NFT les plus chers du moment via NonFungible, Screenshot par CNET France
Les millionnaires du bitcoin
Premier fait qui explique pourquoi les NFT peuvent s’échanger pour
l’équivalent du salaire d’un PDG : on estime que le bitcoin a créé plus de
100 000 millionnaires. Et le fait que les NFT soient devenus un phénomène
en mars ne doit rien au hasard. En effet, c’est à ce moment-là que le
bitcoin a atteint 60 000 dollars, soit une hausse de plus de 500 % par
rapport à six mois auparavant.
Pour la grande majorité des personnes, dépenser des sommes aussi énormes
pour un NFT est un non-sens total. Mais pour les happy few qui ont de
l’argent à ne savoir qu’en faire, les achats hors-normes sont justement un
moyen de se singulariser et d’affirmer leur statut social.
Prenez le Bored Ape Yacht Club, par exemple. Il s’agit d’une collection de 10 000 dessins de singes vendus comme NFT. Ils sont tous dotés de caractéristiques différentes qui en rendent certains plus rares que d’autres. Les exemplaires rares se sont vendus plus d’un million de dollars tandis que les plus communs se négocient environ 200 000 dollars. Au moment du lancement de cette collection en avril, ils valaient 190 dollars pièce. L’objectif principal de ces images est d’être utilisées comme photos de profil sur Discord, Twitter, Instagram ou d’autres plateformes sociales.
De prime abord, cela paraît totalement insensé. Mais si on se replace dans le contexte de la façon dont les gens riches dépensent leur argent, cela devient moins stupéfiant. Pour cette élite qui peut tout s’offrir, seule la rareté la plus extrême est digne d’intérêt. Nous sommes déjà coutumiers des dépenses extravagantes dont les ultra riches sont capables dans le monde réel : propriétés, yacht, voitures, avions, bijoux… Est-il si inconcevable qu’ils puissent dépenser des sommes folles pour des biens immatériels ?
Le jpeg Everydays – The First 5000 Days vendu 69,3 millions de dollars par Christie’s en mars dernier. Un record qui a fait de Beeple le troisième artiste vivant le plus cher, derrière Jeff Koons et David Hockney. Screenshot par businessinsider
Évidemment, les symboles de statut social ne sont pas l’apanage des riches. Nous nous faisons tous plaisir d’une manière ou d’une autre, que ce soit en achetant une voiture neuve alors qu’un véhicule d’occasion ferait l’affaire, ou en s’offrant des vêtements de marques, des téléphones haut de gamme, etc.
Ce que la plupart des symboles de statut social ont en commun, c’est un public-cible spécifique. Le banquier qui arbore sa Rolex ou la directrice générale qui s’installe dans sa Bentley se moquent que l’on trouve l’un ou l’autre de ces achats excessifs. Ils les légitimisent auprès d’une catégorie sociale à laquelle nous n’appartenons pas et qui seule importe à leurs yeux. Il en va de même pour les NFT.
Dans le cas de Richerd, il dirige sa propre entreprise, Manifold, où il aide des artistes numériques comme Beeple à utiliser la blockchain pour faire de l’art qui ne peut exister que sous forme de NFT. Dans son cas, posséder un NFT valorisé à 9 millions de dollars est une formidable carte de visite dans le petit monde des grandes fortunes.
Des problèmes bien réels
Les NFT sont clivants. Un petit groupe de personnes croit en la technologie
sous-jacente (des jetons qui certifient la propriété d’un bien numérique),
mais beaucoup plus nombreux sont ceux qui la considèrent comme une
escroquerie. Tout comme le second groupe a du mal à percevoir la valeur des
NFT, le premier groupe peut parfois être sur la défensive quant aux
imperfections de la technologie qui sont bien réelles.
Tout d’abord, il y a l’inaccessibilité. Il y a une raison pour laquelle les
développeurs ont tendance à bien réussir dans le trading de crypto et de
NFT : la mise en place de portefeuilles de blockchain et d’autres outils
numériques nécessaires est complexe. Même le simple fait d’acheter et de
vendre peut être périlleux. Envoyez de l’argent à la mauvaise adresse de
portefeuille par accident, et il disparaît à jamais.
Et puis il y a les frais. Imaginez que vous souhaitiez vous lancer dans les
NFT et que vous soyez prêt à investir 1 000 dollars. Si vous achetez un
nouveau NFT lors d’une vente publique, vous dépenserez généralement entre
120 et 400 dollars. Ce n’est pas énorme. Mais il faut prendre en compte les
frais de transaction. En effet, la plupart des NFT sont construits sur la
blockchain ethereum, qui est souvent frappée de congestion. Plus il y a de
personnes qui utilisent l’ethereum, que ce soit pour échanger des altcoins
ou acheter des NFT, plus les frais sont élevés. Dans le meilleur des cas,
vous dépenserez environ 100 dollars par transaction, mais le double ou le
triple de ce montant est assez courant.
4000$ de frais…pour une transaction qui a en plus échouée. Screenshot par Daniel Van Boom
Cette situation est particulièrement problématique pour les NFT. Il est
possible pour 100 000 personnes d’acheter de la crypto shiba inu en même
temps, puisqu’il y en a quatre milliards en circulation. Mais lorsque 10
000 personnes tentent d’acheter le même NFT, il en résulte un pic massif
des coûts de transaction, car certains utilisateurs surenchérissent pour
accélérer leur achat. Cela peut ne durer qu’une minute ou deux, mais les
dégâts peuvent être considérables pendant ce laps de temps. Il n’est pas
rare que des personnes dépensent plus de 10 000 dollars en frais de
transaction. Il n’est pas rare non plus que des personnes perdent 4 000
dollars à cause d’une transaction ratée.
L’utilisation de l’Ethereum contribue également à l’autre critique majeure envers les NFT, à savoir la
quantité massive d’énergie qu’ils consomment. Précisons que les NFT ne sont
pas aussi mauvais pour l’environnement que l’Ethereum. L’année prochaine, les
développeurs d’Ethereum sont également censés introduire une mise à niveau qui fera
que le minage consommera 1 % de l’énergie qu’il utilise actuellement. Pour
l’instant, personne ne peut dire précisément combien d’énergie consomme
l’ethereum, mais nous savons que c’est beaucoup. Le Bitcoin est encore
moins efficace que l’ethereum, ce qui explique pourquoi presque rien n’est
construit sur sa blockchain.
Et enfin, il y a le fait que la plupart des personnes qui négocient des NFT
le font pour faire du profit. Les arnaques sont partout, et les prix sont
volatils. Un grand nombre des personnes qui créent, achètent et vendent des NFT
sont ignorantes ou peu intéressées par cette technologie. Certains experts
estiment qu’il s’agit d’une bulle étant donné que le nombre de spéculateurs
dépasse celui des véritables créateurs.
Mais une bulle peut éclater et laisser quelque chose de mieux dans son
sillage. L’art du pixel à sept chiffres n’est peut-être pas éternel, mais
la preuve de la propriété numérique, qui est la véritable raison d’être des
NFT, peut l’être.
Vers une grosse année NFT en 2022
Personne ne sait ce que deviendront les NFT, et tous ceux qui prétendent le
savoir essaient probablement de vous vendre quelque chose. Ce que nous
pouvons dire, c’est que le nombre de personnes qui achètent des NFT est
presque certainement sur le point d’augmenter.
On estime qu’environ 250 000 personnes échangent des NFT chaque mois sur
OpenSea, la plus grande place de marché dédiée à cette technologie.
CoinBase ouvrira bientôt sa propre place de marché NFT, pour laquelle 2
millions d’utilisateurs sont sur la liste d’attente. Robinhood a des
projets similaires.
Plus important encore, de grandes entreprises qui gagnent déjà de l’argent
en dehors de l’espace cryptographique veulent en être. Niantic, la société
derrière Pokemon Go, vient d’annoncer un jeu dans lequel les joueurs
peuvent gagner des bitcoins. Twitter et Meta prévoient d’intégrer les NFT à
leurs plateformes tandis qu’Epic Games se dit ouvert également. Imaginez un monde où, au lieu d’acheter des skins
dans Fortnite, vous achetiez un NFT pour ces skins que vous pourriez alors
échanger contre des tenues et des armes dans d’autres jeux, ou vendre une
fois que vous n’en voulez plus. Epic Games a annoncé qu’il n’intégrerait
pas une telle mécanique dans Fortnite, mais cela n’empêchera peut-être pas
des concurrents de le faire.
Selon Richerd, l’afflux de personnes qui entreront bientôt sur le marché
des NFT va entrainer une plus grande diversité de produits numériques
vendus à des publics différents. Vous ne dépenserez peut-être pas 200
euros, et encore moins 200 000 euros, pour une image de profil, mais vous
serez peut-être prêt à débourser 10 euros pour un skin unique, ou pour un
produit dans le futur
métavers de Facebook …
Article de CNET.com adapté par CNETFrance
Image : Richerd/OpenSea, Yuga Labs, Daniel Van Boom
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