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Comment l’IA change la donne pour les demandeurs d’emploi

Comment l'IA change la donne pour les demandeurs d'emploi


Fut un temps, pas si lointain, où il était relativement simple de postuler
pour un emploi. Il fallait imprimer un CV bien présenté, s’habiller
élégamment et se préparer à un entretien individuel.


Mais ces règles ne s’appliquent plus. Au cours des deux dernières
décennies, les technologies numériques ont radicalement transformé le
paysage de l’emploi. Les logiciels automatisés, les bases de données
professionnelles et les candidatures en un clic dominent désormais le
processus d’embauche et de recrutement.


Si vous avez récemment cherché un emploi, il y a de fortes chances que vous
ayez eu affaire à un outil de suivi des candidatures (en anglais

Applicant Tracking System

, ou ATS). Dans sa forme la plus basique, cet outil agit comme un assistant
en ligne, aidant les responsables du recrutement à rédiger des descriptions
de poste, à analyser les CV et à planifier les entretiens. Avec les progrès
de l’intelligence artificielle (IA), les employeurs s’appuient de plus en plus sur une combinaison
d’analyses prédictives, d’apprentissage automatique et d’algorithmes
complexes pour trier les candidats, évaluer leurs compétences et estimer
leurs performances. Aujourd’hui, il n’est pas rare que des candidats soient
rejetés par un algorithme avant même d’être mis en contact avec un
interlocuteur humain.


Un fonctionnement déshumanisé


Le marché de l’emploi est mûr pour l’explosion des outils de recrutement
par l’IA. Les responsables des ressources humaines doivent faire face à des
budgets en baisse tout en étant confrontés à un nombre croissant de
candidats, conséquence à la fois de la récession économique et de
l’expansion post-pandémique du télétravail. Ces logiciels automatisés qui
prennent des décisions cruciales concernant l’emploi, généralement sans
aucun contrôle, posent des questions fondamentales sur la protection de la
vie privée, la responsabilité et la transparence.


Pour les demandeurs d’emploi, le logiciel de recrutement basé sur l’IA est
en quelque sorte une boîte noire. On peut se plier à un processus de
candidature en ligne chronophage et voir sa demande rejetée par un simple
courriel type sans autre forme de commentaire. Un fonctionnement
déshumanisé qui déstabilise. «

Personne ne comprend vraiment ce qui lui arrive lorsqu’il navigue dans
le processus

», constate Mitra Ebadolahi, directrice principale de projet pour la
justice économique chez Upturn, une organisation à but non lucratif de
technologie et d’équité.


Pourtant, ce type de technologie peut aussi avoir du bon. Une gamme
d’outils en ligne, tels que des logiciels de renforcement des CV qui
améliorent la correspondance des mots clés et des plateformes d’IA
génératives qui rédigent des lettres de motivation, aident les candidats à
passer les fourches caudines des ressources humaines. De plus, avec des
plateformes de réseautage professionnel basées sur des algorithmes comme
LinkedIn et Indeed, il y a plus d’accès aux offres d’emploi que jamais
auparavant.


Lorsque l’on demande à des experts si l’automatisation prendra complètement
le pas sur l’embauche, la plupart d’entre eux répondent que le recrutement
est un processus piloté par l’homme. Adapter sa candidature à un ATS permet
simplement de mettre un pied dans la porte, explique Ankur Chaudhari, chef
de produit chez Jobscan, un outil en ligne qui optimise les CV. Il compare
le processus à un examen d’entrée. Même si l’on obtient un score élevé, il
faut rivaliser avec d’autres étudiants pour décrocher une école de commerce
de premier plan.


Les demandeurs d’emploi seront toujours les laissés-pour-compte du
processus d’embauche, avec ou sans IA. Connaître les règles du jeu ne
change rien à cette réalité, mais cela permet de prendre une longueur
d’avance.


Gain de temps et d’argent pour les recruteurs


Lauren Milligan, coach de carrière et rédactrice de CV basée dans
l’Illinois (Etats-Unis) travaille avec des personnes qui ont quitté le
marché du travail depuis un certain temps. Rebutés par l’idée d’être évalués
par une intelligence artificielle, ils font appel à son entreprise,
ResuMayday, pour les aider.


Pour les grandes entreprises qui traitent des milliers de CV,
l’automatisation peut alléger les tâches administratives et accroître
l’efficacité tout en réduisant les coûts. Près de 99 % des entreprises du
classement Fortune 500 filtrent les candidats par l’intermédiaire d’un grand
système de gestion des candidatures tel que Workday, Taleo, Jobvite,
Greenhouse ou Lever. Les outils automatisés peuvent être utilisés à
plusieurs étapes du processus de recrutement, notamment pour l’évaluation
des compétences ou de la personnalité, voire pour surveiller le langage
corporel lors d’un entretien ou examiner les comptes de réseaux sociaux.


La plupart des employeurs achètent des outils auprès de plateformes tierces
et adaptent ensuite les algorithmes à leurs besoins en matière de
recrutement.


Par exemple,

Microsoft
fait appel à la plateforme Humanly pour mener des discussions automatisées
et des entretiens virtuels avec les candidats. Humanly ne prend pas en
charge le processus d’embauche, selon son PDG Prem Kumar. Il agit plutôt
comme un guide, pour les recruteurs, en les aidant à prendre des notes dans
l’ATS, à rédiger des courriels et à vérifier les références des candidats,
explique-t-il.


Les outils d’embauche automatisés sont aujourd’hui si peu coûteux que les
petites entreprises ont commencé à les utiliser. Sauf qu’elles ne recrutent
pas vraiment de candidats, mais les éliminent. Un ATS recherche une
correspondance élevée de mots-clés, généralement entre 70 et 80 %, entre
les compétences et les qualifications figurant sur le CV d’un candidat et
l’offre d’emploi. Si le robot ne trouve pas ces mots-clés, le candidat ne
passera pas au tour suivant, même s’il correspond parfaitement au poste. «
C’est rarement la personne la plus qualifiée qui obtient le poste
», explique Lauren Milligan.


Selon Julia Pollack, économiste en chef de ZipRecruiter, les algorithmes
ont tendance à donner la priorité aux candidats qui sont actifs sur les
plateformes d’emploi et qui actualisent régulièrement leur CV.


Mais ce n’est peut-être pas du tout l’ordinateur qui vous met au ban. La
rapidité avec laquelle vous répondez à une offre d’emploi est importante.
Si vous vous trouvez chronologiquement au bas d’une longue liste de
candidats, il se peut que vous arriviez tout simplement trop tard. «

Le timing est essentiel

», ajoute Julia Pollack.


Un manque de transparence et d’encadrement


C’est là le nœud du problème. Les candidats ne savent jamais quels
algorithmes sont utilisés, ni qui (ou quoi) prend les décisions d’embauche.
Les ensembles de données et les logiciels étant propres à chaque entreprise,
les systèmes ne font pas l’objet d’une réglementation ou d’un audit
uniforme, ce qui pose une série de problèmes éthiques. «

En termes de normes, c’est un peu le Far West

», déplore Prem Kumar.


Bien que le fournisseur de ce type de logiciels soit en principe
responsable des tests des outils et de la mise en place de garde-fous, le
processus se déroule avec peu, voire pas du tout, de contrôle indépendant.
La plupart des éditeurs insistent sur le fait que l’IA réduit la
discrimination qui prévaut depuis longtemps dans le processus d’embauche.
Mais les critiques sont très sceptiques. Il n’existe aucun moyen de
garantir que le logiciel ne reproduit pas les préjugés systémiques et
institutionnels, en particulier à l’encontre des femmes, des minorités
ethniques et des personnes handicapées. De plus, on ne sait pas exactement
quelles données sont utilisées pour évaluer les candidats.


Selon Rory Mir, directeur associé à l’Electronic Frontier Foundation, «

il y a beaucoup de retard à rattraper en ce qui concerne la
réglementation sur cette question

». Par exemple, aux Etats-Unis, la Commission pour l’égalité des chances en
matière d’emploi, qui considère les systèmes automatisés dans le domaine de
l’emploi comme une « nouvelle frontière des droits civils », n’a
que récemment publié des orientations sur la manière dont les outils
d’embauche par l’IA devraient se conformer aux lois fédérales
antidiscriminatoires.


La prochaine étape consiste à favoriser un consentement éclairé en donnant
aux demandeurs d’emploi la possibilité d’opter pour des évaluations et des
collectes de données basées sur l’IA, et à réaliser des audits réguliers.
Pour Rory Mir, «

le seul véritable remède à la partialité de l’IA est d’ouvrir
l’ensemble du processus.

»


Une vraie égalité des chances ?


Comment les demandeurs d’emploi désavantagés peuvent-ils « battre les
robots » ? Cette question nous a conduit à une panoplie de scanners de CV
en ligne, de logiciels de développement des compétences et de plateformes
de coaching qui aident à rationaliser le processus de candidature et à
faire gagner du temps aux candidats.


Bien que tous ces outils soient époustouflants, ils donnent à certains
candidats un avantage sur d’autres. S’agit-il vraiment d’une égalité des
chances ?


« L’utilisation de l’IA n’est pas une mauvaise chose », affirme
Ben Grant, responsable de chez Ramped, un service de carrière personnalisé
récemment lancé qui utilise Open AI pour améliorer les CV et les lettres de
motivation des candidats. La mission de Ramped est de simplifier la
recherche d’emploi et de la rendre plus inclusive. Selon Ben Grant, cela
consiste à aider les demandeurs d’emploi à apprendre les bonnes pratiques
pour être compétitifs sur le marché actuels. «

L’époque où l’on faisait tout manuellement est presque révolue

», explique-t-il.


Prenons l’exemple de LinkedIn. Ce réseau social professionnel exploite l’IA
depuis longtemps et, au fil du temps, a élaboré un ensemble de principes
pour responsabiliser son utilisation. Lorsqu’il s’agit de technologie
automatisée, le chef de produit de LinkedIn, Hari Srinivasan, n’a qu’un
seul critère : «

Comment pouvons-nous aider les personnes à obtenir des opportunités
économiques ?

»


C’est pourquoi LinkedIn a connecté son écosystème d’embauche directement à
sa plateforme d’apprentissage. Si les candidats n’ont pas l’expérience
nécessaire pour un poste, ou s’ils ont un « déficit de compétences
», ils peuvent suivre une formation professionnelle ou des cours de
certification pour acquérir ces compétences par l’intermédiaire de la
plateforme elle-même. LinkedIn a récemment lancé plus de 100 nouveaux cours
sur
l’IA
générative
, l’IA appliquée et l’IA responsable, entre autres.


Les accompagnateurs de carrière et les responsables du recrutement
disposent d’une multitude de techniques et d’approches pour tirer le
meilleur parti de la machine. Leur premier conseil : ne pas tenter de
leurrer la technologie.


Par exemple, certains demandeurs d’emploi essaient de déjouer le logiciel
de numérisation en utilisant du texte blanc ou invisible pour énumérer des
compétences et des qualifications qu’ils n’ont pas réellement. «

Personne n’a jamais menti pour obtenir un emploi en procédant de la
sorte, et cela ne fonctionnera pas

», prévient Chad Sowash, co-animateur du podcast Chad and Cheese, qui
traite de sujets liés aux technologies de recrutement, à la gestion des
talents et à l’économie de la main-d’œuvre.


La deuxième règle, selon Chad Sowash et d’autres experts, est de
privilégier un CV simple. Par simple, on entend une mise en page facile à
comprendre. Les CV décoratifs devraient être réservés au recrutement
interhumain. Pour passer l’ATS, les demandeurs d’emploi doivent privilégier
un CV sobre. Les boîtes, les tableaux, les graphiques ou les polices de
caractères fantaisistes peuvent vous faire expulser du logiciel. Il est
donc préférable d’utiliser quelque chose de lisible, comme le Times New
Roman et les puces. Certains robots de CV ont même du mal à lire les PDF.


L’étape suivante consiste à utiliser un simulateur de mots clés ou un
analyseur de CV en ligne, qui révèle dans quelle mesure votre CV correspond
à l’offre d’emploi, de la même manière qu’un ATS.


Lorsque nous avons essayé le logiciel pour comparer nos qualifications et
une offre d’emploi de rédacteur prise au hasard, la correspondance des mots
clés était de 41 %, bien en deçà de la fourchette de 70 % et plus
nécessaire.


Il est courant d’obtenir un faible score dès le premier essai, et c’est
parfois parce que le logiciel imparfait sélectionne des mots clés qui ne
sont pas réellement pertinents. Lauren Milligan corrige ces problèmes
automatisés par un processus au cours duquel elle saisit les données
relatives aux descriptions de postes de plusieurs entreprises différentes et
décide quels mots clés donneront de meilleurs résultats. Elle utilise
ensuite cette liste de mots clés optimisés à la place de l’offre d’emploi.
«

Il existe des moyens de travailler avec le système, mais vous devez le
manipuler et le faire fonctionner en votre faveur

», dit-elle.


Des principes de base immuables


Aujourd’hui, nous confions tellement de choses aux logiciels que nous
oublions ce qui se passait avant. Les clients travaillaient avec des
agences de voyage pour réserver leurs billets. D’autres faisaient appel à
des entremetteurs avant l’apparition des applications de rencontres.


Mais l’automatisation s’accompagne toujours de risques humains. Dans le
monde de l’emploi, l’IA présente de réels dangers, notamment la possibilité
de licenciements à grande échelle et l’élimination de catégories d’emplois
entières.


Selon Mona Sloane, sociologue à l’université de New York qui étudie
l’intersection de la technologie automatisée et de la politique, les
responsables du recrutement ne choisissent pas le logiciel d’embauche
automatisé utilisé par l’entreprise et peuvent en venir à s’en méfier après
avoir été témoins des pièges qu’il présente. Tout au long de ses recherches,
la chercheuse a été agréablement surprise de constater à quel point les
recruteurs estiment que le processus repose encore sur leur pouvoir
discrétionnaire et décisionnel, et à quel point ils sont critiques à
l’égard de l’IA.


Nous avons demandé à Chad Sowash, qui a plus de 20 ans d’expérience dans
les RH et l’acquisition de talents, si l’évaluation personnelle était
obsolète dans l’industrie. « Il s’agit toujours d’un jeu humain »,
répond-il.


Il recommande de rester fidèle à soi-même, de raconter son histoire et de
répondre honnêtement aux questions, et non de la manière dont on pense que
l’algorithme veut que l’on réponde. Il ajoute également quelques règles qui
ont fait leurs preuves : s’exercer devant un miroir et s’appuyer sur son
réseau.


Dans tous les cas, un bon CV doit contenir des chiffres mesurables, toutes
les données personnelles susceptibles de vous mettre en valeur (nombre de
projets que vous avez menés, chiffre d’affaires que vous avez généré,
croissance que vous avez accompagnée, infrastructure que vous avez
développée…). «

L’IA ne vaut que par les informations que vous lui fournissez

», rappelle Ben Grant. Le meilleur conseil est peut-être celui de la
sagesse. Préparez-vous à essuyer un refus, car il y en aura un. Et bien
sûr, n’hésitez pas à blâmer le robot. Mais seul un être humain sait comment
se ressaisir et réessayer.



Article de CNET.com adapté par CNETFrance


Image Une : Zooey Liao/CNET


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