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Comment le réchauffement climatique pourrait nous empêcher

Comment le réchauffement climatique pourrait nous empêcher d'observer l'univers


L’année dernière, Toni Santana-Ros, spécialiste des sciences planétaires à
l’université d’Alicante, en Espagne, est entré en action lorsque des
astronomes ont réalisé qu’un

astéroïde
nommé 2022 WJ1 se dirigeait droit vers la frontière entre le Canada et les
États-Unis. Avec à peine quatre heures d’avance, il a rassemblé son équipe
pour déterminer à quel point cet

astéroïde
serait dangereux. « Heureusement », conclut-il,

« l’objet était petit et n’a produit qu’une boule de feu spectaculaire

».


Mais que se serait-il passé si une telle alerte était tombée en novembre
2020, alors que les télescopes de Toni Santana-Ros étaient arrêtés à cause
des feux de brousse qui ravageaient la région et maculaient les objectifs
de cendres ? Ou en février 2021, lorsque des boules de suie provenant
d’incendies portés par les vents ont pénétré dans certains télescopes,
obligeant les astronomes à démonter leurs instruments ? « Le changement climatique affecte déjà l’astronomie et mon travail
», explique l’astronome.


Des études ont montré à maintes reprises que le changement climatique
entraîne une

augmentation
de la fréquence et de la gravité des incendies de forêt. Compte tenu de la
trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre, certains
modèles prévoient même que le risque de

très grands incendies de forêt
aux États-Unis sera multiplié par six d’ici le milieu du siècle.


Un problème astronomique


Au cours des dernières décennies, le

changement climatique
a modifié notre relation avec la Terre. Et les astronomes commencent à
pointer un autre aspect inquiétant de cette crise : le changement
climatique pourrait également altérer notre relation avec le reste de
l’univers.


Avec l’accélération du réchauffement de la planète, les

télescopes
terrestres auront plus de mal à nous révéler la présence d’astéroïdes, à
nous montrer des galaxies et à nous ouvrir des vues sur de nouvelles
exoplanètes. Dans les centres d’astronomie comme Hawaï et le
Nouveau-Mexique, les cyclones, inondations, incendies et sécheresses
deviennent la norme.

climat astronomie 1 


Et il n’y a pas que les catastrophes de grande ampleur qui inquiètent. Les
changements de température, l’humidité, une météo stable sont autant
d’éléments sur lesquels les télescopes comptent habituellement pour
fonctionner de façon optimale.


Un article publié en octobre dernier dans la revue


Astronomy & Astrophysics
s’intéresse à ces détails cruciaux tout en esquissant un avenir inquiétant
pour l’astronomie. Ses auteurs ont évalué les conséquences du changement
climatique sur huit grands télescopes dans le monde d’ici 2050. «

Nos résultats montrent que le changement climatique aura un impact
négatif sur la qualité des observations astronomiques et est
susceptible d’augmenter le temps perdu en raison de mauvaises
conditions sur site

», préviennent-ils.


«

Je n’avais pas encore réfléchi à la façon dont cela affecterait les
observations futures, mais bien sûr, c’est parfaitement logique.
Évidemment, dans la longue liste des tragédies qui résulteront du
réchauffement de la Terre, ce phénomène est très loin dans la liste des
préoccupations, mais il n’en est pas moins inquiétant

», a réagi Clara Sousa-Silva, astrophysicienne quantique au Bard College. «

Des collègues astronomes se sont plaints du fait qu’il semble y avoir
de plus en plus de nuits perdues à cause de la météo ces dernières
années

», ajoute-t-elle.


Les observations infrarouges potentiellement compromises


Avec ses conseillers, Caroline Haslebacher, doctorante à l’université de
Berne, en Suisse, et auteure principale de l’étude évoquée, s’est rendue compte que personne ne s’était vraiment penché sur la façon dont le
changement climatique affectera les observations astronomiques, bien que
l’expérience de Toni Santana-Ros soit la preuve que les conséquences sont
déjà réelles.

climat astronomie 4 


Avec son équipe, elle a modélisé ce qui arriverait à ces huit télescopes à
mesure que le globe se réchauffe, suggérant que nous verrions une
augmentation de ce que l’on appelle l’humidité spécifique et la vapeur
d’eau précipitable dans les années à venir. Cela signifie que la quantité
d’eau dans l’air augmentera en raison du changement climatique, ce qui
deviendra problématique car l’eau en suspension dans l’air a tendance à
absorber la lumière que les télescopes s’efforcent de capter. «

Un grand nombre des observations astronomiques les plus passionnantes
sont réalisées à la limite des capacités instrumentales

», précise Toni Sousa-Silva. «

Tout bruit supplémentaire restreint directement les découvertes que
nous pouvons faire

».


Par exemple, les auteurs de l’étude prévoient que sur le volcan éteint du
Mauna Kea à Hawaï, où se trouvent de nombreux observatoires, il y aura une
augmentation de 0,3 mm d’eau d’ici 2050. Il est vrai qu’un tel impact
semble bien faible par rapport à d’autres sites. « Mais ce n’est quand même pas nul », constate John O’Meara,
responsable scientifique de l’observatoire Keck de Mauna Kea. À la lumière
de cet article, il s’inquiète particulièrement de l’augmentation de la
vapeur d’eau qui pourrait affecter non pas la lumière visible mais plutôt
les observations infrarouges sur le site hawaïen. Une telle brume est très
susceptible de poser des problèmes pour cette catégorie de lumière, qui
émane de l’univers lointain.

climat astronomie 2 


Comme les longueurs d’onde s’étirent en s’éloignant, elles deviennent de plus en plus rouges au fil du temps
jusqu’à se transformer en d’insaisissables motifs infrarouges invisibles à
l’œil humain mais analysables avec des équipements de pointe. C’est
précisément la forme de signaux lumineux prisée des scientifiques, celle
qui pourrait nous révéler à quoi ressemblait l’univers au moment de sa
naissance. On comprend mieux à quel point il serait dramatique de perdre un
tel accès à l’histoire cosmique. «

Les effets du changement climatique n’ont jamais été pris en compte
dans les études de sélection des sites, et nous avons maintenant une
nouvelle variable à considérer

», estime John O’Meara.


Pour Caroline Haslebacher, à l’avenir, nous devrions prendre en compte ces
tendances lors de la construction de télescopes. « C’est urgent pour les télescopes en cours de construction »,
souligne-t-elle, «

car ceux-ci peuvent encore adapter leur conception aux conditions
climatiques changeantes, et pour les télescopes en cours de
planification, afin de pouvoir sélectionner un site ayant un impact
minimal.

»


Malheureusement, même cet effort d’anticipation pourrait ne pas suffire à
compenser les obstacles que la crise climatique va engendrer. L’augmentation de la vapeur d’eau réduit simplement la transmission de la
lumière dans certaines bandes spectrales. Comme le dit Toni Sousa-Silva, « nous aurons littéralement moins à observer ».

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Un impact non seulement sur l’astronomie, mais sur toute la science


L’année dernière, la

COP27
a marqué la 27e année de réunion des dirigeants du monde pour discuter de
la manière de sauver la planète. Et une fois encore, les scientifiques du
monde entier ont confirmé que nous étions en train d’échouer. «

Je dois insister sur le fait que, parmi les cinq trajectoires possibles
,

nous avons étudié le scénario de la trajectoire socio-économique
partagée avec les plus fortes émissions de gaz à effet de serre

», précise Caroline Haslebacher à propos de son étude scientifique. « Malheureusement, c’est ce scénario que nous suivons aujourd’hui ».
En d’autres termes, le scénario du pire est celui que nous vivons
actuellement.


Pourtant, certains décideurs politiques et géants de l’énergie justifient
ce genre de dérives humaines contre la Nature, et l’encouragent même, parce
que les combustibles fossiles nous fournissent une énergie bon marché. Ce
choix, nous le payons d’une autre manière. «

Nous savons ce que nous devons faire, en tant que nation et dans le
monde pour éviter les pires effets, et pourtant nous sommes largement
réticents à agir à l’échelle que la situation exige

», déplore John O’Meara. «

Je crains qu’il ne faille la première catastrophe ou le premier conflit
véritablement majeur pour nous réveiller, et d’ici là, il pourrait bien
être trop tard pour éviter la prochaine.

»


En outre, la pollution qui réchauffe la planète a aussi pour effet
d’épaissir l’atmosphère. «

Une atmosphère optiquement épaisse est une atmosphère dans laquelle le
rayonnement se déplace moins

», explique Pier Luigi Vidale, professeur de science du système climatique
et des risques climatiques à l’université de Reading et coauteur de
l’étude. «

Bien que [nos] modèles aient pris en compte le scénario d’émissions
futures le plus élevé, nous avons peut-être encore sous-estimé l’impact
de la pollution atmosphérique sur la visibilité locale

. » John O’Meara résume le problème encore plus simplement : «

Plus de nuages égale moins de visibilité pour les objets peu lumineux, égale moins de science.

»

climat astronomie 3 


On peut citer quelques autres conséquences : le réchauffement climatique
pourrait dégrader les qualités atmosphériques générales du site d’un
télescope, formant les conditions propices aux turbulences pendant les
observations ; il pourrait empêcher les scientifiques de refroidir leurs
machines aux conditions nominales avant de se lancer dans un projet.


A vrai dire, les inquiétudes sont suffisamment profondes pour avoir un
impact non seulement sur l’astronomie, mais sur toute la science. « Cela va changer notre monde entier », pense Toni Santana-Ros. «

Il est fort probable que le changement climatique puisse être à
l’origine de futures crises financières, qui auront à leur tour un
effet négatif sur le financement de la recherche.

» Le financement des projets scientifiques est déjà un énorme casse-tête.
La plupart du temps, seuls ceux qui obtiennent des subventions, des bourses
et autres récompenses sont en mesure de poursuivre leurs travaux pendant
des années. Si nous attendons pour agir sur le changement climatique et que
quelque chose de radical se produit, nous devrons réorienter les ressources
de l’astronomie, de la médecine, de la chimie, de la biologie, de la
botanique, etc. vers la science du climat.


Pour John O’Meara, «

il est encore temps pour la science et l’industrie de nous conduire
vers un avenir climatique meilleur. Tout ce dont nous avons besoin,
c’est de détermination et d’investissement

». Il devient de plus en plus clair que sans action immédiate, la promesse
des télescopes terrestres pourrait un jour appartenir au passé, s’éteignant
aux côtés de toutes les autres belles choses que les humains sont chargés
de protéger de la catastrophe qu’ils ont créée. À ce moment-là, le seul
lien qui nous resterait avec les étoiles serait nos engins spatiaux comme
les télescopes

James-Webb
et

Hubble
. «

Les plans de colonisation d’autres planètes sont encore de la
science-fiction, et le seront encore pendant plusieurs décennies

», estime Toni Santana-Ros. «

Notre seule option pour survivre est d’atténuer le changement
climatique

».




Article de CNET.com adapté par CNETFrance


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