Mobilité

Les nomades numériques travaillent à distance dans des lieux

Les nomades numériques travaillent à distance dans des lieux paradisiaques. Mais à quel prix ?


C’était l’heure de l’apéro à l’hôtel blanchi à la chaux sur l’île
volcanique isolée de Salina, perdue dans la mer Tyrrhénienne, à une courte
distance en hydroglisseur du nord de la Sicile. Autour de la piscine, des
couples en lune de miel sirotaient des cocktails en admirant le coucher de
soleil sur l’île de Stromboli, où le célèbre volcan crache des panaches de
fumée dans le crépuscule. Un cadre idyllique et romantique soudainement
troublé par une personne allongée sur une chaise longue en train de
conduire à haute voix sa réunion Zoom avec son équipe à New-York. Un brutal
rappel à la réalité du télétravail que tous les hôtes présents dans ce lieu
enchanteur pensaient avoir laissé des milliers de kilomètres derrière eux
l’espace de quelques jours…


A mesure que les connexions Wi-Fi fiables deviennent disponibles dans des
endroits de plus en plus reculés, il y a peu de lieux où il est vraiment
impossible de travailler. Mais le fait de pouvoir travailler de n’importe
où est-il réellement souhaitable ?


Un nomade numérique est une personne qui travaille à distance pendant
plusieurs mois dans un lieu avant de déménager. Cette pratique est devenue
de plus en plus populaire au cours de la dernière décennie,
particulièrement à la suite de la pandémie de coronavirus. Selon une

étude
de MBO Partners, rien qu’aux États-Unis, 16,9 millions de personnes se sont
décrites comme des nomades numériques l’année dernière, soit une
augmentation de 131 % par rapport à 7,3 millions en 2019.


Partout où les nomades numériques vont, ils côtoient des communautés
locales établies, occupent des logements, interagissent avec les patrons
d’entreprises et contribuent à un changement de la démographie et des
économies locales. Sur les réseaux sociaux, ils se mettent en scène en
train de bosser dans un cadre de rêve, déplaçant leur lieu de travail au
gré des saisons, le tout pour un coût global nettement inférieur à celui
qu’ils auraient dans leur pays d’origine. Mais tout ceci ne raconte qu’une
partie de l’histoire…


De plus en plus souvent, des nomades numériques opulents se retrouvent en
conflit avec les populations locales, qui ne voient pas d’un bon œil la
présence de ces nouveaux venus. On les accuse de faire grimper les loyers,
de prélever des ressources précieuses, de ne pas faire beaucoup d’efforts
pour s’intégrer…

nomades num 1 

Westend61/Getty


Les forces qui poussent au nomadisme


Certains profitent de politiques de travail à distance plus flexibles
introduites en raison de la Covid-19. D’autres se livrent à des « voyages
de vengeance » pour compenser plusieurs années sans congés.


Autre tendance marquée chez les travailleurs nomades issus de pays
favorisés : choisir un pays où la devise et le coût de la vie sont
inférieurs afin de maximiser son pouvoir d’achat avec un revenu payé dans
une devise plus forte.


Bien que le nomadisme numérique ne soit pas un phénomène purement
américain, il est dominé par les citoyens américains. Il existe peu de
statistiques fiables sur la composition démographique des nomades
numériques, mais la source la plus largement citée est généralement le site
Nomad List, qui
a déclaré dans son enquête de 2023 que 47 % des nomades enregistrés
venaient des États-Unis. La deuxième nationalité la plus répandue sont les
Britanniques (7%) tandis que les Français se classent en sixième position.


Les modes de vie et les apprentissages des nomades numériques peuvent
fournir un modèle mondial pour aider à surmonter les crises, notamment la
précarité financière, le changement climatique et l’instabilité politique.
Dans son livre Nomad Century, la journaliste Gaia Vince explique
comment les humains ont toujours été une espèce migratrice et continueront
de l’être à l’avenir. Elle considère qu’au cours du siècle à venir, la crise
climatique exigera de nous tous davantage de flexibilité et de mouvement.


Les nomades numériques montrent une voie, mais tout le monde ne peut pas
reproduire leur expérience. Il existe des inégalités fondamentales entre
ces privilégiés venus d’Amérique du Nord et d’Europe et les communautés
dans lesquelles ils s’immergent.


Non seulement ils ont les ressources pour financer un tel mode de vie, mais
ils bénéficient du privilège du passeport grâce auquel ils accèdent
temporairement à presque tous les pays où ils veulent passer du temps avec
peu ou pas de tracas.


«

La plupart des nomades numériques pendant les 10 premières années du
mouvement, à partir de 2010 environ, voyageaient à travers le monde
avec des visas touristiques

», explique Lauren Razavi, elle-même nomade numérique et directrice de
projets pour l’assureur Safety Wing.


Au cours des dernières années, certains gouvernements ont vu le phénomène
prendre de l’ampleur dans leur pays et ont réagi en introduisant des visas
spéciaux pour encourager les travailleurs à distance. Mais ceux-ci ne sont
toujours pas ouverts à tous.


Lauren Razavi travaille avec les gouvernements pour les encourager à
introduire des normes internationales quant à qui peut accéder à leur pays
avec un visa nomade. SafetyWing milite pour que les autorités ne donnent
pas la priorité au pays d’origine pour décider à qui accorder des visas, et
se concentrent plutôt sur la profession et les revenus afin de garantir un
accès plus égalitaire au mode de vie nomade.


Quand les tensions éclatent : nomades vs locaux


Bali est l’un des nombreux endroits dans le monde saturés de nomades
numériques à la recherche d’une communauté, d’un climat, d’une vie
abordable et d’infrastructures fiables. «

Cela se produisait avant la pandémie, mais maintenant que beaucoup plus
de personnes peuvent travailler à distance et choisissent de vivre à
Lisbonne, à Bali ou en Thaïlande, l’ampleur en fait plus un problème

», explique Shaun Busuttil, nomade numérique depuis 10 ans qui est
actuellement doctorant à l’Université de Melbourne.


À Bali, il a vu des épiceries locales transformées en cafés vendant des
boissons à 5 dollars. Ces lieux voient se côtoyer les employés locaux qui y
travaillent pour 50 cents de l’heure, tandis que les clients qui sirotent
leur latté en travaillant sur leur pc portable peuvent facilement gagner 50
dollars de l’heure. « C’est fou et c’est vraiment inconfortable »,
déplore Shaun Busuttil.


Si l’afflux de nomades numériques à Bali s’est produit à un rythme lent au
cours des 10 dernières années, dans les nouveaux lieux les plus prisés,
leur arrivée peut sembler abrupte et imprévue.


La manière dont ces nouveaux venus occupent l’espace qui était autrefois
celui des locaux est une source de conflit majeure avec les communautés
d’accueil. De nombreux résidents locaux de Mexico sont profondément
frustrés par la montée en puissance d’Airbnb, accusant l’entreprise d’une
explosion du marché de la location à court terme qui a provoqué des pénuries
de logements et vu les propriétaires augmenter les loyers, déplaçant les
communautés locales. Lisbonne, comme Mexico, a également connu des
protestations contre la présence de nomades numériques. Le gouvernement
portugais a finalement sévi contre les licences Airbnb cette année.


Il est même souvent recommandé aux nomades qui veulent se fondre parmi les
locaux d’éviter complètement Airbnb, afin de ne pas exacerber les problèmes
de gentrification. «

Si vous partez dans un nouveau pays où vous savez qu’il y a un problème
de logement, trouvez un hébergement alternatif

», conseille Alvin Toro, nomade numérique depuis 13 ans actuellement basé à
Paris.


Nomades et responsabilisation


Les nomades numériques ne peuvent pas être tenus seuls responsables des
problèmes de gentrification. Mais une volonté de s’interroger sur l’effet
de leur présence sur les communautés locales et de s’adapter en conséquence
est souhaitable.


«

J’ai traversé des phases où j’étais très inconscient de l’impact que
mon style de vie avait

», reconnaît Alvin Toro, qui vient des États-Unis. Il admet qu’il lui a
fallu un certain temps pour en prendre la mesure. «

Cela devait être vers 2015, 2016 quand j’ai commencé à me regarder dans
le miroir, et je me suis dit, peut-être que tu fais partie du problème.

»


Alors que de nombreux nomades numériques sont motivés par leur amour du
voyage et souhaitent s’enrichir de la culture locale plutôt que de la
perturber, quelques-uns sont motivés uniquement par la possibilité de
profiter d’une destination parce qu’elle est bon marché. Ils considèrent
leur mode de vie plus comme un droit qu’un privilège et utiliseront toutes
les ressources locales dont ils ont besoin pour le maintenir, sans tenir
compte de leur impact sur la communauté locale.


Et cela n’aide pas lorsque, pour gagner de l’argent, les nomades numériques
se transforment en gourous de leur style de vie sur les réseaux sociaux,
vantant l’attractivité des villes de pays en développement. Ainsi, sur
TikTok, une vidéo intitulée «

Ce que je dépense en une semaine à vivre et à travailler en tant que
nomade numérique à Medellin, en Colombie

», a été dénoncée par des citoyens de pays d’Amérique latine et leur
créateur traité de colonisateur.

nomades num 2 

Putu Sayoga/Bloomberg via Getty Images


Quand les nomades numériques aident les locaux


Autrefois connue comme une destination hivernale pour les retraités
européens, Madère vit un nouveau souffle avec l’afflux de jeunes nomades
numériques attirés par son climat tempéré et sa beauté naturelle. Luis
Calado, ancien télétravailleur et cofondateur de l’association à but non
lucratif Madeira Friends, est ce que l’on peut appeler un nomade numérique
éthique et responsable.


Avec son association, il œuvre à ce que les nouveaux venus améliorent la
vie des résidents permanents de Madère. Madeira Friends a déjà organisé 70
événements qui ont attiré plus de 3 000 personnes. Ensuite, il y a des
activités sociales et des déjeuners hebdomadaires, ainsi que des nettoyages
de plages et des excursions en catamaran gratuites pour les familles
locales.


L’île étant limitée en espaces et en ressources, Luis Calado se sent
investi de la responsabilité d’attirer le bon type de nomades numériques à
Madère. «

Nous voulons nous assurer que dans quelques années… les habitants se
sentent bien

», dit-il.


Bien qu’il ne soit pas aussi marqué que dans les économies émergentes, il
existe un écart entre le salaire moyen des habitants et les nomades vivant
à Madère. Le principal facteur contribuant à cette disparité est l’accès à
l’éducation et aux opportunités de travail, que les membres de Madeira
Friends tentent de résoudre en se rendant dans les écoles pour enseigner
les techniques de codage et en fournissant des livres aux enfants.

nomades num 3 

Les nettoyages de plage ne sont qu’un exemple parmi d’autres des nomades numériques de Madère qui s’investissent pour la communauté.
Madeira
Friends


Là où les gouvernements ont été lents à réagir, des nomades comme Luis
Calado interviennent pour leur montrer la voie. Ils peuvent avoir un impact
profond grâce au partage des compétences, en particulier dans les économies
émergentes.


Dans le cadre de son rôle de fondatrice du centre de coworking Livit à
Bali, Lavinia Iosub s’est efforcée de faire sortir les nomades numériques
de leur bulle pour aider à former les talents locaux aux compétences
technologiques. Le projet est né de sa frustration de voir la disparité
entre la façon dont les nomades et les locaux vivaient.


«

Vous gagnez de l’argent dans une devise différente qui vous donne
tellement plus de pouvoir d’achat dans le pays où vous vous trouvez
pour profiter de vos smoothies le matin, de vos petites séances de
yoga, vous balader en scooter et vivre une vie tropicale fabuleuse

», lance-t-elle. dit.


Grâce à Livit, elle a commencé à organiser des cours qui ont été
immédiatement complets, avec des habitants de Bali désireux de se
perfectionner. «

Cela nous a donné l’opportunité d’être vraiment enracinés dans la
culture locale et de collaborer avec les populations et … d’offrir
plus d’opportunités économiques

», explique-t-elle.


Au cours des quatre dernières années, Livit a formé plus de 300 personnes,
non seulement à Bali, mais aussi dans d’autres régions d’Indonésie.

« Nous avons vu, par exemple, des mères au foyer qui sont passées de
zéro revenu à gagner plus d’argent que toute leur famille

», explique la fondatrice.


Envie de devenir nomade numérique ? Lisez ceci d’abord


«

Apprenez une langue et utilisez cette langue pour mieux comprendre les
pays et les nuances des pays que vous visitez

», conseille Marko Ayling, un ancien youtubeur voyageur américain qui
réside maintenant à Mexico. Les échanges linguistiques peuvent être un
excellent moyen de rencontrer des personnes tout en apprenant.


Le monde est grand et il n’y a absolument aucune règle stipulant que tous
les nomades numériques doivent affluer vers les mêmes endroits, même s’ils
ont tendance à le faire. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles certains
endroits deviennent populaires : le coût de la vie, la sécurité et un bon
Wi-Fi sont des facteurs clés. Mais cela aiderait à soulager la pression sur
certaines destinations si elles s’étendaient davantage.

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Si vous louez un scooter, essayez de le louer à une entreprise locale plutôt qu’à une société étrangère.
sestovic/Getty


Plusieurs nomades avec qui nous avons échangé pour cet article recommandent
également de se déplacer moins fréquemment et de s’en tenir à une zone plus
petite. Restreindre les déplacements peut permettre de pratiquer des
compétences linguistiques et de développer un lien plus profond avec un
pays, tout en évitant l’épuisement professionnel que les voyages de longue
durée entraînent parfois.


Ensuite, bien sûr, il y a la simple question du respect. S’extasier sur le
faible coût d’un lieu peut sembler impoli aux habitants qui ont du mal à
joindre les deux bouts.


Donc, si vous rêvez de plus qu’un simple travail, si vous avez envie de
joindre l’utile à l’agréable en changeant de vie, sachez que vous pouvez le
faire de manière éthique. Suivez les conseils de ceux qui le vivent déjà.


Article
de CNET.com adapté par CNETFrance


Image Une : Robert Rodriguez/CNET


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