Le marché des jeux multijoueurs en ligne explose depuis l’avènement des jeux sur mobile, du eSport et des plateformes de cloud gaming. Sur les 2,8 milliards de gamers que l’on compte en 2021 à travers le monde, 56 % jouent en ligne, en multijoueurs. Age of Empires IV, King of Avalon, Counter Strike: Global Offensive, League of Legends, Honor of Kings, Call of Duty: Warzone, Fortnite, Lemnis Gate, Among Us, Back 4 Blood, Apex Legends, Halo Infinite : la liste des jeux concernés, qui rassemblent ados, jeunes adultes et geeks plus âgés, est longue. Côté argent, le marché des jeux en ligne est actuellement estimé à 128,5 milliards de dollars.
70 % des joueurs touchés par la triche
Tout cela serait merveilleux si… 70 % des gamers adeptes du multiplayer, soit environ 1 milliards de personnes, ne déclaraient pas être régulièrement affectés dans leur expérience de jeu par la triche. “Comme pour tout marché de plusieurs milliards de dollars, dans l’espace des jeux multijoueurs en ligne, il y a ceux qui cherchent à jouer le système. Dans les jeux multijoueurs, les pirates peuvent chercher à manipuler et à déformer des données ou des codes pour obtenir un avantage sur les autres joueurs. Une telle tricherie peut avoir un impact important sur ces jeux multijoueurs en ligne, tant pour l’éditeur que pour les autres joueurs”, observe Irdeto, une société spécialisée dans la cybersécurité des plateformes numériques.
29 milliards de dollars perdus par an
Pourquoi tricher ? Évidemment pour “améliorer ses performances”. Mais aussi, de plus en plus souvent, pour contourner ou manipuler les micro-paiements des jeux – jusqu’à gagner de l’argent ainsi. Dès lors, il est facile de comprendre que la triche massive commence à avoir un impact sur le business des jeux. Dans une étude réalisée en 2019, Irdeto constate que 76 % des joueurs en ligne se disent énervés par les “chesters”. Et estiment qu’il est important que les jeux multijoueurs en ligne soient protégés “contre les tricheries, qui donnent un avantage injuste aux autres joueurs”. Leur plaisir et leur expérience de jeu étant souvent impactées par ce phénomène, le risque est grand de les voir raccrocher leur manette ou leur souris. Ce qui pourrait avoir un impact colossal sur le chiffre d’affaires des éditeurs, la valeur de leurs jeux étant susceptible d’être affectée.
“77 % des joueurs en ligne sont prêts à arrêter de jouer à un jeu multijoueur en ligne s’ils pensent que d’autres joueurs trichent pour obtenir un avantage injuste. En outre, 48 % achèteraient moins de contenu en jeu en raison du cheating”, explique Irdeto. La perte totale pour l’industrie du jeu vidéo s’élèverait actuellement à 29 milliards de dollars par an.
En Chine, 60 % des joueurs utilisent des “crack”
Certes, il y en a qui restent attachés à leurs jeux et qui font preuve d’une certaine “tolérance” vis-à-vis des “cheaters”. C’est particulièrement vrai en Asie, où “la tricherie est plus courante” qu’en Europe ou aux USA, et où le phénomène “empêche moins les gamers de jouer”. Mais pour en profiter malgré les tricheurs qui pullulent, d’autres préfèrent se mettre eux-même à tricher. En Chine, où le cheating est devenu “monnaie courante”, 60 % des joueurs utilisent des fichiers “crack” ou des logiciels pour tricher, avec l’idée que “si l’on ne peut pas vaincre les tricheurs, alors il faut les rejoindre”. Ce qui n’augure rien de bon pour la qualité de l’expérience de jeu des 3 milliards de joueurs attendus en 2023.
L’enjeu est donc important pour les éditeurs : “protéger leurs jeux contre la tricherie est crucial pour garantir une bonne expérience aux joueurs du monde entier qui veulent jouer dans les règles de l’art, et donc de ne pas perdre d’argent dans les années qui viennent”, affirme Iderto. Les éditeurs offrant ainsi aux joueurs “une expérience agréable et un jeu équitable, l’emporteront certainement plus tard, dans un secteur des jeux en ligne de plus en plus concurrentiel », ajoute l’éditeurs de solutions anti-triche.
L’IA, plus efficace que les signalements
Face à ce phénomène, comment agir ? Certains éditeurs semblent avoir compris l’ampleur du problème, et développent des outils anti-triche. Quand ils n’utilisent pas ceux, de plus en plus sophistiqués, développés par des sociétés comme Iderto ou Int3 Software.
Les logiciels “maison” développés par des éditeurs comme Valve Corporation, BattleEye Innovations ou Epic Games, se veulent infiniment plus efficaces que la simple technique du signalement. Traditionnellement, quand un joueur constate qu’un autre joueur triche, il peut soumettre un rapport qui sera examiné manuellement par un expert de la société qui gère le jeu en question. Mais ce système, manuel, est bien sûr perfectible, car le processus est souvent trop long pour “bannir” les cheaters.
Les outils des éditeurs, comme Easy Anti-Cheat (EAC) d’Epic Games ou Valve Anti-Cheat (VAC) de Valve Corporation, bloquent ou détectent des modifications dans les bases de données du jeu. Certains, comme Valve, utilisent l’IA pour concevoir des systèmes de encore plus précis, qui ne dépendent pas d’ingénieurs humains pour créer des “règles” permettant de détecter des hacks. Jusqu’à détecter et bannir les tricheurs quasiment en temps réel.
De son côté, Activision a déployé en octobre dernier son propre système d’anti-triche, Ricochet, sur Call of Duty : Warzone et Call of Duty : Vanguard. Son outil utilise un pilote kernel (pouvant être mis à jour), capable de déceler les logiciels et applications de triche d’une façon “évolutive”. Pour rappel, un pilote kernel (au niveau du noyau du PC) est un code informatique qui fonctionne avec des privilèges élevés sur un ordinateur, capable d’accéder à toutes les ressources du système pendant son exécution.
Ce type de pilote est généralement utilisé pour permettre l’accès à l’ensemble du matériel de l’ordinateur ; quand les logiciels classiques, tels que les jeux, fonctionnent au niveau de l’utilisateur et ont un accès limité au niveau du noyau et aux autres processus du mode utilisateur. “Les pilotes de niveau kernel bénéficient d’un niveau d’accès élevé pour surveiller et gérer les logiciels et les applications sur un ordinateur, comme le pilote de la carte graphique. Le pilote kernel surveille et signale les applications qui tentent d’interagir avec le jeu, permettant ainsi à l’équipe de Ricochet de déterminer si une machine utilise des processus non autorisés pour manipuler ses données”, explique Activision.
Des performances ralenties (ou pas) ?
Mais ces logiciels conçus actuellement par les éditeurs ne repèrent que les tricheries les plus évidentes et les plus simples, en raison des grandes bases de données nécessaires pour entraîner leurs IA. Ainsi, les cheaters les plus expérimentés trouvent toujours une parade, et les outils “maison” ont encore trop tendance à ne s’appuyer que sur des “signatures” de tricheurs connues. En outre, certains hackers pourraient facilement injecter leurs codes destinés au cheating, directement dans les échantillons d’apprentissage de ces IA, selon Sogeti Labs. Enfin, de tels systèmes ont aussi tendance à ralentir significativement le temps de chargement des jeux, ainsi que le framerate (fréquence d’affichage) lors du jeu.
Les entreprises spécialisées dans les logiciels anti-triche font parfois mieux, avec des systèmes plus efficaces. Mais elles sont elles aussi accusées par certains joueurs pour l’impact négatif de leurs systèmes sur les performances de jeu. C’est par exemple le cas de Denuvo, la solution d’Iderto ; bien que selon une enquête de JeuxVideos.com, son outil de détection des manipulations des données de jeux ne ralentisse en réalité que peu les “performances in-game”.
D’autres logiciels détectent le cheating autrement, et sont eux aussi pointés du doigt par les joueurs ; mais pour d’autres raisons. En Suède, la solution anti-triche EQU8 d’Int3 Software utilise une IA pour analyser en temps réel le comportement des joueurs, afin de repérer les cheaters. Elle mesure notamment le nombre d’actions effectuées chaque seconde afin de mettre en évidence des performances… surhumaines. Cet outil semble avoir la côte, et est déjà utilisé par des studios renommés comme Novaquark (et son jeu Dual Universe, qui rassemble 30 000 joueurs par jour en moyenne, bien qu’en version bêta), 1047 Games (Splitgate), GD Studio (Diabotical) et Landfall (Totally Accurate Battlegrounds). En effet, présenté comme “léger” par Int3, il n’affecterait pas pour cette raison “de manière significative” les temps de chargement ou les performances du jeu. Les joueurs ne se rendant compte de rien. C’est en tout cas ce que disent les éditeurs faisant appel à ce logiciel. Selon eux, en outre, les tricheries seraient depuis “considérablement réduites”.
L’inévitable crainte pour la vie privée
Mais ce qui gène certains joueurs est ailleurs. Comme le souligne GD Studio dans un fil de discussion Reddit, nombre de gamers se disent en fait inquiets pour… leur vie privée. Mais là encore, comme pour Denuvo côté performances, une enquête approfondie aboutit à la conclusion que ce type d’outil respecte la confidentialité des données. Selon Int3 Software, EQU8 n’analyse que le jeu lui-même, quand il est en cours d’exécution. Il y recherche toute modification “suspecte” de “l’intégrité de l’environnement du jeu” (par exemple, les altérations de la mémoire), ou des fichiers liés au jeu. Mais en aucun cas, d’autres fichiers, déliés du jeu. En outre, les identifiants des comptes des joueurs sont anonymisés.
S’il s’agit donc bel et bien, comme cela semble être le cas, de rumeurs et de craintes infondées, les outils anti-triche d’Iderto et d’Int3 Software (tout comme ceux, probablement largement améliorés demain, des studios eux-mêmes), devraient avoir de beaux jours devant eux. L’objectif final des éditeurs étant, plus globalement, comme le rappelle Activision, “de maintenir le fair play” qui règne et devrait continuer de régner dans l’univers des jeux vidéo. Avant même d’éviter de perdre de l’argent.
Des outils (légaux) pour apprendre à mieux jouer
Reste une autre façon de lutter contre la triche, dans l’hypothèse où celle-ci est surtout suscitée par une recherche de performances chez les joueurs : développer des outils qui permettent d’améliorer les performances des joueurs (légalement).
Ainsi, il existe déjà des services d’entraînement en ligne et coaching de joueurs : par exemple, Aim Lab, qui rassemble 1,5 millions d’utilisateurs par mois, aide les joueurs à mieux viser dans Fortnite, grâce à une IA qui analyse la précision des tirs et donne des exercices pour s’entraîner.
Autre service du même type : Aim Master. Un logiciel d’entraînement au tir pour les FPS. Il propose notamment des exercices de 60 secondes pour développer son temps de réaction et sa précision. Ainsi que des guides pour améliorer son intelligence de jeu.
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