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Un « dépistage » du burn-out plus efficace et rapide grâce à

Un "dépistage" du burn-out plus efficace et rapide grâce à l'IA ?

Après deux ans de crise sanitaire, 41 % des salariés se disent en situation de détresse psychologique en raison des protocoles successifs, du changement de rythme de travail ou encore du manque de perspectives. D’après la dernière enquête d’OpinionWay pour Empreinte Humaine [cabinet spécialisé dans les risques psychosociaux et la qualité de vie au travail], 34 % des salariés sont en burn-out, dont 13 % en burn-out sévère, soit 2,5 millions de personnes. Selon l’Institut de veille sanitaire, 480 000 personnes en France seraient en détresse psychologique au travail et le burn-out en concernerait 7 %, soit 30 000.

 

De quoi parle-t-on quand on parle de burn-out ?

Le burn-out se caractérise selon l’INRS par une intense fatigue émotionnelle et un “sentiment de non-accomplissement” professionnel. Il s’agit d’un excès de travail qui vide le salarié de toute son énergie. Selon l’OMS, il s’agit d’une « pathologie résultant d’un stress professionnel chronique qui n’a pas été géré correctement » – avec trois composantes : « des sentiments de perte ou d’épuisement », « une distance mentale accrue avec le travail ou des sentiments de négativité ou de cynisme liés au travail », et une « diminution de l’efficacité professionnelle ».

Pour éviter le burn-out ou en sortir, il est primordial de pouvoir le détecter le plus vite possible ; en particulier à travers plusieurs signes avant-coureurs, émotionnels ou physiques. Mais les professionnels de santé peinent encore à repérer ce syndrome de façon précoce. D’abord, comme l’écrit Emmanuelle Wyart, coach professionnelle et préventrice en risques psychosociaux dans « Burn-out: ce n’est pas votre faute mais c’est peut-être votre chance », parce qu’il s’agit d’une pathologie comportant « une symptomalogie riche et polymorphe ». Ainsi, de nombreux symptômes peuvent être l’expression d’autres maladies ou syndromes (dépression ou anxiété, entre autres), et « ne permettent pas à eux seuls de qualifier le burn-out ». Ensuite, parce que les outils de diagnostic actuels sont « incomplets ».

 

 burnout

 

 

 

Des outils de diagnostic pas encore assez fiables 

Les outils qui existent aujourd’hui sont ainsi loin de bénéficier d’un consensus médical. Les plus utilisés, les test MBI (Maslach Burnout Inventory), OLBI (Oldenbourg Burnout Inventory), CBI (Copenhagen Burnout Inventory), SMBM (Shirom Melamed Burnout Measure) et BM (Burn-out Measure), comportent des dizaines de questions qui explorent l’épuisement émotionnel, le rapport aux autres et le degré d’accomplissement dans le travail. Ils visent à évaluer la sévérité du syndrome. Exemples de questions-réponses types : « Je me sens à bout à la fin de ma journée de travail : jamais / quelquefois / chaque jour » ; ou encore « Travailler avec des gens tout au long de la journée me demande beaucoup d’effort : jamais / quelquefois / chaque jour » ».

Mais si ces tests sont validés par des instances en psychologie, « de nombreuses critiques leur sont adressées, et ils ne font pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique », observe Emmanuelle Wyart. En particulier parce qu’ils ne sont pas si fiables que cela, les résultats étant souvent biaisés. « Ces questionnaires ne comportent que des questions d’échelle (fermées), et aucune question en texte libre. De plus, certaines personnes sont réticentes à cocher les réponses ‘ »jamais’ ou ‘tous les jours’, ou sont tentées de mentir pour influencer les résultats », nous explique Mascha Kurpicz-Briki, professeure en ingénierie des données à la Haute École Spécialisée Bernoise à Bienne en Suisse.

Avec une équipe de spécialistes en IA et en psychologie appliquée, cette chercheuse suisse a mis au point une méthode basée sur l’analyse automatique de textes, afin de pallier cette limite. « Il a été démontré que l’analyse de textes, par exemple sous la forme de transcriptions d’entretiens, est prometteuse, mais elle n’est pas souvent réalisée dans la pratique en raison du temps supplémentaire nécessaire à l’évaluation manuelle des textes. Mais avec l’IA,  on peut détecter le burn-out plus facilement et rapidement, avec une plus grande efficacité et fiabilité », note-t-elle.

 

 MBI

 

 

Un « dépistage » du burn-out plus efficace et rapide grâce à l’IA ?

Les textes analysés par les chercheurs suisses (de façon anonyme) provenaient ici du site internet communautaire anglophone Reddit et de ses nombreux forums, ou « subreddits » (et pas seulement ceux dédiés au burn-out). L’équipe de Mascha Kurpicz-Briki a ainsi constitué un ensemble de données composé de 13 568 échantillons décrivant des expériences de première main, dont 352 sont liés à l’épuisement professionnel et 979 à la dépression. Elle a ensuite eu recours à l’apprentissage automatique. Concrètement, des algorithmes analysent automatiquement les textes et identifient si le langage relève du burn-out ou pas. Pour cela, les textes récoltés ont été étiquetés et classés dans deux groupes, entre ceux faisant référence à ce syndrome, et ceux qui n’y sont pas liés. Puis des modèles ont été entraînés, via plusieurs configurations différentes, pour déterminer si un texte contient « des indications sur le burn-out » ou non.

Selon la scientifique suisse, cette méthode de diagnostic par le Natural Language Processing (NLP, traitement automatique du langage naturel) aurait identifié avec succès 93 % des cas de burn-out. Mais les données utilisées restent encore peu nombreuses pour que les résultats soient totalement sûrs. « Dans une prochaine étape, nous souhaitons appliquer notre méthode en collaboration avec des partenaires cliniques, afin de développer encore et de valider de telles méthodes. En outre, nous aurons besoin d’un ensemble de données d’entraînement plus diversifié, comprenant différents groupes de la population, car nous avons jusqu’ici travaillé avec des données entièrement anonymes. En raison de la difficulté de trouver des données suffisantes, nous avons exploité des textes en anglais dans cette étude. Notre objectif à moyen terme est d’appliquer nos méthodes à des textes en allemand et en français, provenant de patients dont le burn-out est confirmé », indique Mascha Kurpicz-Briki.

Pour la chercheuse, cette technologie pourrait être utilisée dans un contexte clinique, pour « créer de nouveaux outils » pour la psychologie/psychiatrie : « Par exemple, les transcriptions d’entretiens pourraient être analysées, ou de nouvelles formes d’inventaires comprenant des questions en texte libre pourraient être définies et validées grâce à cette méthode ». Pourrait-on aller jusqu’à imaginer faire la même en analysant des mots à l’oral, à travers la voix du patient ? « Nous étudions la possibilité de transcrire automatiquement des textes parlés, par exemple à partir d’entretiens avec des patients, pour ensuite les analyser. Cependant, cela peut s’avérer difficile dans le cas de dialectes spécifiques, qu’il peut être compliqué à retranscrire », affirme-t-elle.

 

 NLP Reddit

 

 

 

Une « intelligence augmentée » plutôt qu’artificielle

Mais attention : pas question de tout automatiser. Mascha Kurpicz-Briki précise ainsi que la collaboration d’experts en IA et d’experts médicaux reste indispensable. Dans un premier temps pour vérifier les conclusions de cette étude sur des cas réels de burn-out et sur un échantillon représentatif de la population, mais même au-delà. « Notre travail est orienté vers l’approche de l’intelligence augmentée plutôt que vers l’intelligence artificielle : au lieu de remplacer les humains (les professionnels de santé), un tel outil devra les soutenir dans leur travail quotidien. Dans le contexte de notre travail, il aiderait le praticien clinique en lui fournissant des indications sur le patient, comme une aide à la décision », explique-t-elle.

Car la chercheuse n’a pas peur de le reconnaître : elle et son équipe n’arrivent pas à savoir exactement quels mots ou quelles tournures de phrases sont retenues par leur système d’IA comme symptômes de burn-out. Il s’agit ainsi d’une méthode comparable à une « boîte noire », qu’il vaudrait mieux, donc, ne pas utiliser sans un minimum de recul. « Il est très difficile d’évaluer comment l’IA parvient à telle ou telle décision. C’est le challenge auquel nous essayons de répondre, mais dans l’absolu, cet outil ne peut être automatisé », conclut-elle. 

Une telle technologie pourrait rendre plus “intelligents” les “chatbots psy” qui se multiplient depuis 4 ou 5 ans. Owlie, WoebotWysa et Tess sont des agents conversationnels de “soutien psy”, qui vous posent des questions afin de cerner votre état moral et mental, et de vous délivrer des conseils. Ou de vous diriger vers un spécialiste humain. Ces chatbots détectent déjà pour cela des mots clés, tels que “stress”, “insomnie”, “colère”, via une IA. L’apprentissage automatique et le traitement du langage naturel leur permet “d’aider les utilisateurs à gérer leurs émotions”, et “d’atténuer leur dépression”. Mais leur efficacité demeure limité à l’heure actuelle. D’où l’intérêt de la méthode développée par Mascha Kurpicz-Briki et son équipe. Un outil qui ne remplacera jamais, évidemment, les psys humains, mais qui pourrait permettre de mieux les mettre en relation avec leurs patients, le plus en amont possible.

 

Le même schéma serait applicable dans le cas d’un chatbot qui détecterait les émotions d’un humain par l’oral, comme commence à le faire Ellie. Cet “avatar artificiel” conçu à l’Institut des technologies créatives de l’USC (University of Southern California) par des chercheurs en science de l’informatique et des psychologues, est ainsi capable de discuter avec les patients, mais aussi de détecter leurs émotions en analysant leurs expressions faciale et leurs mots. Tout comme les chatbots Owlie ou Woebot, l’IA d’Ellie commence par des questions générales, puis passe à des questions cliniques plus précises.

Pendant toute la discussion, Ellie utilise la vision artificielle pour interpréter des indices verbaux et faciaux à partir des expressions du visage et du ton de la voix du patient, afin d’adapter ses questions, mais aussi ses réponses — qui peuvent être de hocher la tête, de sourire ou de prononcer un « hum » lorsque le sujet raconte une histoire sensible. Ces « réactions » subtiles permettent ainsi de créer une « relation » plus étroite avec le patient, et de l’inviter à partager davantage d’informations. Si la technique de Mascha Kurpicz-Briki pouvait être appliquée aux discussions orales, difficile, donc, de ne pas imaginer son apport à des projets tel que celui de l’USC. Mais là aussi, l’humain resterait au centre. Comme nous explique Gale Lucas, la chercheuse à l’origine d’Ellie, les IA pourront constituer que des outils au service des thérapeutes humains : « avec nos avatars virtuels, nous ne voulons pas remplacer les humains. Les robots peuvent détecter mieux que nous les informations non verbales, voilà le gros potentiel de ces technologies. Ils peuvent servir à identifier les personnes en détresse, mais le soin final appartiendra toujours aux thérapeutes humains. »

ellie 

 

A noter qu’en Belgique wallonne, d’autres chercheurs travaillent sur une solution utilisant l’IA pour détecter plus facilement le burn-out. Pas en se basant sur sur le texte, mais sur l’analyse de données issues du smartphone et des objets connectés du patient. « Grâce à l’observation de données relatives au comportement produites par le téléphone et les autres appareils connectés, nous pouvons facilement détecter et reconnaître les symptômes clés tel qu’un changement de comportement, un épuisement physique et même d’éventuelles réactions émotionnelles inhabituelles », explique Antoine Sepulchre, fondateur de NOÖS, une plateforme NOÖS,dédiée à la santé mentale et au bien-être, qui collabore à ce projet avec des spécialistes du laboratoire de recherche en intelligence artificielle de l’UCLouvain.

Les comportements analysés via les objets connectés et autres smartphones sont notamment un changement dans la façon de marché de l’utilisateur, dans l’intonation de sa voix, dans son rythme de sommeil, dans ses recherches sur Google, dans ses habitudes alimentaires, ou encore ses choix musicaux. Une méthode potentiellement efficace, mais assez risquée côté protection des données (de santé) personnelles, et même éthique… C’est pourquoi, là encore, les chercheurs insistent sur l’importance de laisser « l’humain au cœur de la solution ».

 


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