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La sombre influence des Dark Patterns sur nos expériences

La sombre influence des Dark Patterns sur nos expériences digitales

Dans l’univers digital, les interfaces spécifiquement créées pour piéger les utilisateurs sont nommées les Dark Patterns – que nous pouvons traduire par « sombres interfaces » en français. 

Leurs concepteurs les réalisent dans le but d’amener les utilisateurs à déclencher des actions involontaires, afin de servir les seuls intérêts de la structure propriétaire. Abonnement forcé à une newsletter, souscription non désirée à des services payants, ajout d’articles en douce dans un panier e-commerce… les exemples sont nombreux.  

Les expériences online positives passent par des interactions aisées, plaisantes et sans couture. Elles sont conçues pour satisfaire à la fois les utilisateurs et le business, sans que l’un prenne le pas sur l’autre. Les designers s’appuient sur une bonne connaissance des comportements humains et des sciences cognitives. Mais ce savoir peut également être utilisé pour manipuler les utilisateurs via les Dark Patterns.

Les exemples les plus courants

1 – Fake urgency

Cette technique a pour but d’accélérer la transformation d’un panier en achat, en faisant croire à l’acheteur qu’il doit se presser pour ne pas rater une bonne affaire. Cela peut prendre plusieurs formes :

  • Un compte à rebours très visible avec le temps restant avant la fin d’une offre. A noter sur certains sites e-commerce, la pérennité des offres indiquée par le compte à rebours est faux.
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  • Des mentions alarmantes sur la disponibilité d’un bien touristique. « Plus qu’une seule chambre disponible dans cet hôtel » ou encre « Attention, grosse demande dans ce camping à cette période » sont autant de messages exagérés – voire faux – qui forcent la main à l’utilisateur.
  • Des offres spéciales avec une date limite floue. Les mentions du type « Offre limitée dans le temps » sans plus d’indication de durée sèment le doute dans l’esprit de l’utilisateur, pour ne pas voir « la bonne affaire » filer.

2 – Bait and switch

Ce Dark Pattern – que l’on peut traduire par « appât déclencheur » – concerne le détournement d’une action de l’interface, dont le résultat n’est pas celui initialement désiré : une validation plutôt qu’une annulation, une confirmation de commande à la place d’une simple vérification de panier, etc.

L’idée est d’utiliser un conditionnement psychologique via une habitude visuelle, comme une couleur particulière ou un emplacement spécifique. On trouve des exemples de ce Dark Pattern dans certains jeux mobiles gratuits. 

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Après lancement du jeu, un gros bouton permet de démarrer une partie. Une fois la partie perdue, il est possible d’utiliser un crédit pour rejouer (plusieurs sont offerts chaque jour), en cliquant sur ce même bouton. Une fois les crédits épuisés, le joueur doit en acheter de nouveaux. 

À cet instant, les concepteurs de l’interface ont simplement modifié le label « Rejouer » initial du bouton en « Acheter », afin d’amener le joueur directement sur la boutique via un clic réflexe. L’utilisateur devient conditionné à cette action et à son résultat. Il suffit alors de changer le résultat au moment opportun en modifiant le label de l’action.

3 – Confirmshaming

Cette pratique consiste à ajouter des connotations négatives dans les libellés des actions que le concepteur ne veut pas voir déclenchées (désabonnement, abandon de panier, etc.). Les tournures de ces libellés de confirmation sont culpabilisantes, bien au-delà de « Confirmer » ou « Valider ». 

Un des exemples les plus connus reste Amazon, qui propose à de nombreuses reprises un passage à Amazon Prime. Les intitulés de refus ne sont pas de simples « non merci », mais plutôt « non merci, je ne veux pas de livraisons illimitées en une journée ».

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Autres exemples de libellés « confirmshaming » rencontrés sur le web :

Je choisis de ne pas m’enregistrer pour télécharger un guide de jardinage pour débutant : 

« Non merci, je suis déjà un pro du jardinage »

Je choisis de ne pas saisir mon adresse email pour obtenir une réduction sur une commande :

« Non merci, économiser de l’argent n’est pas mon truc. »

Dans ce cas de Dark Pattern, l’action en elle-même n’est pas détournée : seuls les libellés sont pensés pour provoquer une réaction chez l’utilisateur.

Pour tout savoir sur les Dark Patterns, rendez-vous sur https://www.darkpatterns.org/

Les ressorts psychologiques des Dark Patterns

Ces sombres interfaces peuvent affecter tout le monde, mais elles sont particulièrement efficaces sur les individus souffrant de détresse psychologique. La meilleure défense reste de bien les identifier pour mieux les contourner.

Voici les points faibles sur lesquels s’appuient les Dark Patterns : 

  • La culpabilité, en détournant l’intitulé d’une action de manière à remettre en cause le choix initial (exemple du confirmshaming ci-dessus). Cela joue négativement sur l’image de soi, et peut aller jusqu’à faire douter de sa propre personnalité.
  • Le manque de motivation, en proposant des process lourds qui peuvent à la longue fatiguer l’utilisateur et l’amener à abandonner son action. On retrouve cela dans certains process de désabonnements par exemple, où plusieurs étapes pénibles à réaliser sont nécessaires
  • L’impulsivité, en amenant l’utilisateur à penser qu’il faut décider vite. Les Dark Patterns peuvent le mettre sous pression pour qu’il agisse avant de mener à bien l’intégralité de sa réflexion (exemple du fake urgency ci-dessus).
  • L’anxiété est un des leviers les plus utilisés par les Dark Patterns. Cela passe par des messages inquiétants (par exemple, certains anti-virus et leurs alertes anxiogènes,) ou en jouant sur des lourdeurs dans le process (comme le passage obligatoire par un contact téléphonique pour se désabonner)
  • Le conditionnement psychologique, comme dans le cas du bait and switch exposé ci-dessus. Via une action répétée sur un élément remarquable de l’interface (un bouton coloré par exemple), l’utilisateur assimile que « ce bouton implique cette action ».

Pour des interfaces efficaces ET « user friendly »

Il est possible d’employer les mêmes principes pour inciter un engagement positif de l’utilisateur, via un usage éthique des techniques de persuasion, là où les Dark Patterns détournent les sciences cognitives dans le seul but d’achever coûte que coûte un objectif commercial.

Le modèle comportemental créé par le professeur Fogg de l’université de Stanford affirme qu’un comportement se déclenche si l’utilisateur dispose d’un niveau suffisant de motivation et de capacité. En bref, il lui fait avoir l’envie (motivation) et la connaissance pratique (capacité) pour réaliser l’action.

  • La motivation peut s’acquérir par l’attractivité, les avantages ou la nécessité envers une marque ou un produit. Pour cela, il suffit souvent d’un discours clair, complet et honnête. Par exemple, beaucoup d’applications de remise en forme proposent désormais de petits challenges « sportifs » (marcher 6000 pas aujourd’hui, réaliser 20 pompes, etc.) sous forme de badges virtuels. Au fil du temps, les challenges deviennent plus difficiles. Cette démarche non culpabilisante et progressive booste la motivation. 
  • La capacité peut être acquise naturellement si l’interface concernée est « user friendly » et instinctive à utiliser. Un design agréable, une navigation facile, des fonctionnalités pensées pour le confort de l’utilisateur permettent de fluidifier l’expérience et favoriser le bien-être ressenti. Il s’agit ici de tout faire pour gommer les craintes liées à l’utilisation en tant que telle. 

L’UX est une disciple évolutive qui se nourrit des utilisateurs. Elle peut être pratiquée du côté obscur, en jouant sur les peurs et faiblesses à des fins purement commerciales, ou du côté lumineux, en respectant les attentes et envies des utilisateurs de manière positive. Les concepteurs de dispositifs numériques ont un grand pouvoir, et donc une grande responsabilité. À eux de choisir leur voie.




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