Finance

La lente émergence des SPACs français

2021, l’odyssée des SPACs [i] – Après une année 2020 record, l’engouement pour les SPACs ne se dément pas, bien au contraire. Déjà plus de 260 SPACs se sont lancés sur les marchés aux Etats-Unis depuis le début de l’année (à comparer aux 268 IPOs de SPACs réalisées en 2020 [ii]). Le train des SPACs américains est lancé à pleine vitesse même s’il lui reste à démontrer sa capacité à créer de la valeur pour toutes les parties : sponsors, investisseurs et cibles. Cette effervescence ne laisse pas l’Europe, et notamment la France, indifférente : après avoir regardé de loin ces étranges instruments et leurs particularités juridiques et financières, la curiosité semble avoir laissé place à un véritable intérêt.

Les SPACs : une solution de choix pour les cibles françaises

Alexis Le Touze, BNP Paribas - Guillaume Goubeaux, Skadden

Alexis Le Touze, BNP Paribas – Guillaume Goubeaux, Skadden

Les SPACs ont probablement vocation à devenir des acteurs importants, voire incontournables dans les processus d’introduction en bourse voire de cession. Dans un univers de taux bas, le SPAC offre pour les investisseurs initiaux de réelles possibilités de plus-values (en cas de succès de la combinaison avec la cible identifiée) pour un risque faible (compte tenu de la faculté de rachat permettant à l’investisseur de récupérer sa mise si la combinaison proposée ne lui convient pas, tout en conservant, le cas échéant, une exposition au SPAC après son investissement via la détention de warrants). Les SPACs ont donc des liquidités et un vif besoin de les employer à court terme. A défaut d’utilisation des fonds levés dans les délais impartis (généralement autour de 2 ans), le SPAC devra les restituer et les sponsors supporteront seuls l’ensemble des coûts de l’opération. Cette pression structurelle va d’ailleurs conduire naturellement les SPACs américains à rechercher de plus en plus des opportunités d’investissement en dehors des Etats-Unis et notamment en Europe.
Les cibles potentielles peuvent voir un grand intérêt dans ces véhicules qui combinent une force de frappe financière similaire à celle du monde du private equity et permettent une cotation rapide. Pour ces cibles non cotées l’accès aux marchés est accéléré, sans avoir à gérer la complexité de toutes les étapes d’une introduction en bourse. Se marier avec un SPAC n’est toutefois pas toujours aisé. Un processus de cession ou de rapprochement avec un SPAC est plus complexe à gérer qu’avec un autre acteur privé, ou même une société cotée. En effet, le processus de validation de l’acquisition au sein du SPAC et le droit de retrait des investisseurs qui ne seraient pas séduits par cette acquisition constituent un risque (mesuré mais néanmoins réel) d’exécution, qui peut toutefois être atténué par l’engagement de nouveaux investisseurs via un processus de « PIPE ».

Le SPAC : une structure réplicable et déjà répliquée en France

Peut-on constituer un SPAC sous forme d’une société française cotée sur un marché français ?
Le droit français a su évoluer et s’assouplir afin d’accroître l’attractivité de la place de Paris ce qui permet aujourd’hui la mise en place d’instruments ou de véhicules complexes et innovants. La structure juridique du SPAC est dorénavant réplicable et la meilleure preuve en est l’existence de deux véhicules de ce type : Mediawan et 2MX Organic. L’AMF et Euronext ont également démontré savoir faire preuve de souplesse et d’adaptabilité pour accompagner la mise en place de ces nouveaux acteurs.
Euronext Paris offre même une opportunité intéressante, qui ne se retrouve pas sur l’ensemble des marchés européens, avec son compartiment « professionnel ». Celui-ci permet une cotation avec des obligations allégées qui semble particulièrement bien adaptée aux SPACs, véhicules s’adressant essentiellement aux investisseurs qualifiés.

Un SPAC français : une structure intéressante pour une cible française ou européenne

Les SPACs peuvent donc être des partenaires de choix pour les cibles françaises et il est possible de constituer des SPACs français. Mais les deux sont-ils faits pour se rencontrer ?
Un SPAC français serait de nature à faciliter une combinaison avec la cible identifiée par les sponsors si celle-ci est française ou européenne, ce qui, ne l’oublions pas, constitue le but ultime du SPAC. Combiner une cible française et un véhicule américain peut en effet s’avérer complexe et nécessite une certaine expertise et une solide compréhension des enjeux post cotation. Au contraire, la combinaison d’un SPAC français avec une cible française ou européenne serait plus simple puisque s’inscrivant directement dans les mécanismes du droit français ou ceux harmonisés du droit européen. Utiliser un véhicule français pourrait également, en fonction de l’identité et de la nationalité de ses investisseurs, être de nature à faciliter l’obtention des autorisations réglementaires requises.
Par ailleurs, la promesse de cotation immédiate ne doit pas faire oublier les contraintes qui peuvent l’accompagner. Un mariage avec un SPAC coté aux Etats-Unis, contraindra la cible à se soumettre aux obligations liées à cette cotation, que ce soit en terme de reporting, de communication, de format de gouvernance ou d’obligations pour le management. Un SPAC français permettrait une cotation sur un marché susceptible de correspondre davantage aux attentes de la plupart des cibles françaises ou européennes.

Mais alors pourquoi si peu de SPACs français ?

Pourquoi n’a-t-on vu que deux véhicules de type SPAC cotés en France – et encore s’agit-il de deux véhicules bénéficiant du support des mêmes investisseurs ?
L’attractivité de l’Europe ne saurait être en cause. Dans le contexte du Brexit, elle devrait même bénéficier d’une dynamique positive permettant d’attirer des projets de SPACs européens. En France, le récent engouement des investisseurs pour ces structures peut être démontré par le succès de 2MX Organic. Ce véhicule est pourtant structuré de manière plus autonome à l’égard des investisseurs que Mediawan puisque la décision d’investissement est prise par le conseil d’administration et non par l’assemblée des actionnaires.
En prenant l’exemple des valeurs technologiques, les dernières opérations d’introduction en bourse comme Auto1 ou Inpost ont démontré l’intérêt des investisseurs américains ou européens pour ce secteur en Europe. Les intentions de coter des sociétés technologiques en France se sont multipliées dans les dernières semaines, attestant d’une maturité du marché pour ce type d’equity stories. Pour certaines, le SPAC constituera une alternative à une introduction en bourse « classique ». Le succès d’un SPAC suppose un thème d’investissement porteur mais aussi – et essentiellement – un « fondateur » reconnu incarnant le projet et inspirant une confiance suffisante pour que les investisseurs confient à ce véhicule un « chèque en blanc ». La France ne manque certainement pas de talents, aussi peut-on espérer une multiplication des projets de cotation de SPACs en France. Le lancement de quelques SPACs emblématiques – et surtout leur combinaison avec des cibles attrayantes – pourraient probablement initier une dynamique vertueuse en France.
En tout cas, tout est prêt pour les accueillir.

[i] Special Purpose Acquisition Companies : entités cotées, levant des fonds en vue de procéder dans un délai prédéfini (en général 24 mois) à l’acquisition d’une ou plusieurs cibles à déterminer.

[ii] Source : https://spacinsider.com


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