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Pourquoi les réseaux sociaux nous rendent tristes et cons

Pourquoi les réseaux sociaux nous rendent tristes et cons

MaJ du 27 octobre avec l’étude interne de Facebook pointant les effets négatifs d’Instagram auprès des adolescents. En nous permettant de garder le contact avec nos proches, et de rencontrer de nouvelles personnes, les réseaux sociaux ont révolutionné nos vies. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Car si vous utilisez vous aussi Facebook, Instagram, Snapchat ou Twitter, vous en aurez probablement fait l’amère expérience : à force de se rendre sur les réseaux sociaux, la tristesse finit inévitablement par pointer le bout de son nez.

 

Vies mises en scène, mais comparées

Qui n’a jamais été jaloux en regardant les photos de vacances d’un ami, et qui n’a jamais rêvé d’avoir lui aussi une vie (apparemment) de rêve, semblable à celle (entrevue) de sa copine, mère de deux enfants et heureuse comme tout ? A force de nous pousser à mettre nos vies en scène et à espionner les vies sublimées de nos proches, ces sites nous rendraient-ils tristes, jusqu’à nous déprimer ?

Entre 2012 et 2017, plusieurs études, menées notamment par des chercheurs de l’université de Queensland, du Michigan et de Pittsburgh, ont démontré qu’une trop grande utilisation de Facebook et Co. constitue un facteur de dépression – et que les internautes qui utilisent plusieurs réseaux sociaux en même temps ont davantage de chances de déprimer, ou d’être angoissés, que ceux qui s’y rendent avec parcimonie. Car forcément, nous en venons presque tous à comparer nos vies, jusqu’à nous dévaloriser, parfois injustement. Si nos messages sont ignorés, nous nous sentons tristes, seuls. Si les photos et statuts de nos amis sont (ou semblent) heureux mais que nous le sommes moins qu’eux, nous déprimons encore plus. Finalement, un véritable cercle vicieux s’installe – Facebook, Instagram et les autres nourrissant notre envie de stalker nos amis, mais entretenant aussi chez nous l’impression de valoir moins que les autres (qui ont une vie parfaite, du moins en images), et ainsi de suite. 

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Un usage compulsif qui déprime

Ce constat, l’affaire toute récente des Facebook Files vient confirmer, de plus belle. Au beau milieu de du Wall Street Journal issues des documents internes de Facebook diffusées par une lanceuse d’alerte, on trouve ainsi des recherches menées par des chercheurs d’Instagram, dont les résultats demeurent édifiants. Ils font ainsi état des effets néfastes d’Instagram sur la façon dont les adolescents voient leur corps. D’après ces recherches portant sur plus de 50 000 jeunes utilisateurs vivant dans 10 pays, mais surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, 40 % de ceux qui s’estiment « moches » disent que cette impression a commencé suite à leur inscription à Instagram.

L’étude interne de Facebook montre que la moitié des adolescentes comparent leur apparence à celle des autres sur Instagram. Et ces comparaisons basées sur l’apparence atteindraient un pic lorsque les utilisateurs ont entre 13 et 18 ans, baissant largement avec l’âge, les femmes de plus de 18 ans étant moins exposées (quoique). Et si les filles semblent plus sensibles à cette dictature des apparences délétère, les garçons ne sont pas épargnés. Ainsi, 14 % d’entre eux déclarent que ce réseau social les fait se sentir mal dans leur peau. Sachant que, rappelons-le, les problèmes d’image corporelle sont l’une des principales raisons pour lesquelles l’utilisation des réseaux sociaux entraîne chez les ados de très nombreuses dépressions. Pouvant aller jusqu’au suicide

Dans The Conversation, Jean Twenge, professeur de psychologie à la San Diego State University, rappelle de son côté que, justement, « plus un adolescent passe d’heures par jour sur les réseaux sociaux, plus il est susceptible d’être déprimé ou de s’automutiler« . Une étude menée au Royaume-Uni, indépendante et sans lien avec les recherches internes de l’entreprise Facebook, indiquait par ailleurs en 2019 qu’un quart des filles de 15 ans passaient plus de 5 heures par jour sur les médias sociaux, et que 38 % d’entre elles étaient cliniquement déprimées. En comparaison, parmi les filles qui utilisaient les médias sociaux moins d’une heure par jour, seules 15 % étaient déprimées. Il est dès lors facile de tirer des conclusions de ces chiffres mis en parallèle…

Les documents internes divulgués par Frances Haugen, ancienne chef de produit au sein de l’équipe chargée de l’intégrité civique de Facebook, viennent nous rappeler que Mark Zuckerberg et les équipes de la firme savent ainsi pertinemment que leurs plateformes, Facebook et Instagram, sont truffées de défauts “qui les rendent toxiques”, pour les adolescents comme pour les utilisateurs plus âgés. Mais pour rien au monde, Facebook ne changerait son business model, bâti sur les likes et le temps passé sur le réseau social. Car plus il y a de likes et plus les internautes sont connectés longtemps, plus il y aura d’annonceurs, donc de profits. 

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Addicts aux “j’aime”

Bien que les recherches internes de Facebook n’aient pas examiné les liens entre le temps passé sur Instagram et la santé mentale, les chercheurs ont demandé aux adolescents quels étaient, à leurs yeux, les pires aspects d’Instagram. L’une des choses que les adolescents « aimaient le moins » à propos de l’application était le temps qu’ils y passaient. L’étude indique notamment que les adolescents ont « un discours de toxicomane sur leur utilisation. Ils souhaiteraient passer moins de temps à s’en préoccuper, mais ils ne peuvent pas s’en empêcher ». Ainsi, les jeunes utilisateurs de Facebook et Instagram sont clairement conscients qu’ils passent trop de temps en ligne, mais ils ne réussissent pas à s’empêcher d’y passer quasiment tout leur temps libre. Au point que 35 % des ados aimeraient que les réseaux sociaux eux-mêmes leurs envoient des messages pour leur rappeler de faire une pause, ou pour les encourager à se déconnecter pour faire autre chose.

Mais comment expliquer cette addiction, aussi dure, finalement, que l’addiction à la cigarette ou aux jeux ? Au départ, si nous adoptons un usage frénétique des réseaux sociaux, c’est bien souvent pour combler un vide. En partageant des photos de nous, nous espérons (parfois inconsciemment) obtenir des “likes” et des commentaires amicaux, comme une sorte de récompense – qui nous réconforte, mais qui peut aussi nous rendre totalement addicts. C’est quand il n’y a aucune réponse en face que les choses se gâtent… “Si je mets une photo mais qui n’a pas de likes, je vais l’enlever très vite, car aujourd’hui, je ne supporte plus l’idée de perdre”, note Michael Stora, psychanalyste et président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH).

Les réseaux sociaux constituent aussi un miroir déformé, qui permet de se représenter pour exister. Un bon moyen de sublimer sa vie, et de montrer à ses contacts une version idéalisée de soi. Et comme les autres font la même chose, et que tout le monde triche et se montre sous son meilleur jour, “l’exposition à des représentations très idéalisées de pairs sur les médias sociaux” finit par susciter chez certains “des sentiments d’envie, et la croyance déformée que d’autres personnes mènent une vie plus heureuse, avec plus de succès”, remarquent des chercheurs suisses, à l’origine d’une étude sur les “liens entre la fréquence d’utilisation d’internet et la santé des adolescents”. 

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Réduisez la cadence

Alors, que faire ? Quitter Facebook, Snapchat et Instagram, scènes du théâtre des faux semblants et du culte de l’image ? Une étude menée en 2016 par un chercheur danois, Morten Tromholt, baptisée “The Facebook experiment”, consistait à comparer des internautes utilisant d’un côté les réseaux sociaux comme à leur habitude, et d’autres ayant d’un autre côté cessé de s’y rendre, pendant une semaine.

Cette très légère “detox” aurait suffit pour rendre les cobayes volontaires moins tristes et plus satisfaits de leur vie sociale. Pas forcément heureux, mais moins déprimés, en nous évitant des “comparaisons sociales irréelles” (comparaisons vis-à-vis de nos amis, mais aussi des “influenceurs” qui aiment exhiber leurs photos retouchées)… et aussi en nous évitant de perdre (trop) notre temps (qui pourrait être passé avec des proches) à consommer de l’actu pas toujours joyeuse. “Passons-nous trop de temps sur nos téléphones au lieu de prêter attention à nos familles ?”, s’interroge ainsi David Ginsberg, directeur de recherche… chez Facebook.

La solution ? Pas forcément tout couper, mais juste d’apprendre à doser son utilisation des réseaux sociaux. Et apprendre aussi à s’aménager parfois de petites périodes de déconnexion. Enfin, essayer de ne plus autant sacraliser ce que nos contacts partagent sur les réseaux sociaux. En préférant, finalement, les relations sociales “IRL”, ou en tout cas les interactions directes (car discuter avec quelqu’un, en ligne, cela reste discuter avec quelqu’un), plutôt que celles réalisées par photos interposées. Des photos mises en scène, dans au moins 60% des cas. 

Dites non à la FOMO et aux apparences

Il serait illusoire de compter sur des lois qui réguleraient les plateformes, et a fortiori sur la bonne volonté de Facebook et Instagram (mais aussi Tik Tok, Snapchat, YouTube, Twitch…). Même si ces sites mettent en place des systèmes permettant de se fixer soi-même des limites de temps, ou d’usage, cela ne repose surtout que sur notre propre volonté.  Instagram a bien prévu que les moins de 16 ans ne recevraient plus de notifications « push » après 21 heures, et les 16-17 ans après 22 heures, rien ne changera entre 8 heures du matin et 20 heures.

Il appartient donc aux internautes eux-mêmes de se prendre en main. Les adultes, en luttant contre leur peur de manquer quelque chose (FOMO), qui les pousse à vérifier sans cesse s’il y a de nouveaux contenus sur Facebook, ou si l’on a aimé leurs photos sur Instagram. Concernant les adolescents, c’est avant tout à leurs parents de jouer. En les sensibilisant sur les effets néfastes du FOMO, mais aussi du culte de l’image et de la représentation de soi, qui pousse à une comparaison mortifère. Les jeunes en ont conscience : « La raison pour laquelle notre génération est si perturbée et présente un taux d’anxiété et de dépression plus élevé que celui de nos parents est que nous devons faire face aux médias sociaux. Tout le monde a l’impression de devoir être parfait », déclarait ainsi une adolescente, lors des recherches internes de Facebook. « Les jeunes sont parfaitement conscients qu’Instagram peut nuire à leur santé mentale, mais ils sont obligés de passer du temps sur l’application par peur de manquer quelque chose », notent par ailleurs les chercheurs.

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C’est pourquoi il appartient aux parents (mais aussi aux adultes qui gravitent autour d’eux, au collège / lycée notamment) de leur apprendre que les photos sur Instagram sont la plupart du temps retouchées, et passées sous des filtres. Sur Instagram ou Tik Tok, ces filtres sont drôles et ludiques… jusqu’au jour où l’on commence à se trouver mieux avec. Avec les risques de dérive que cela comporte, allant jusqu’à la chirurgie esthétique dans le but de ressembler au « visage Instagram », le fameux « Fox Eye », avec sa forme ovale, ses grosses lèvres et ses yeux tirés. Expliquer ainsi à ses ados à quel point ce culte de la perfection est dangereux, serait déjà un bon point.

Les parents peuvent ensuite expliquer en quoi « loin d’être le reflet réaliste de l’apparence d’une personne, la plupart de ces photos font la promotion d’objectifs impossibles à atteindre », observent des chercheurs australiens dans The Conversation. Donc en quoi elles sont factices. Autant que le sont certaines stars grâce à leur maquillage. Évidemment, adopter cette façon de relativiser et de dédramatiser ce que l’on voit sur les réseaux sociaux est aussi valable pour les adultes. Eux-mêmes pouvant s’efforcer de ne plus se comparer aux coach sportives et aux influenceuses refaites, bodybuildées ou passées sous filtre.


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